…elle crée sa propre structure et devient Chef de ses Festins. Elle offre ainsi ses talents à de nombreuses sociétés prestigieuses tout comme à de chanceux particuliers pour envoûter leurs palais lors de prestations uniques et sur-mesure.
Suite à sa rencontre avec Nicholas Fox Weber, admirable gentleman américain, ami des Albers dont il est le Directeur de la Fondation,
Eve trouve avec l’œuvre de Joseph Albers une occasion rêvée pour s’exprimer sur toute sa palette dès 2002 lors d’une exposition à Beaubourg. Comble exquis des correspondances, elle travaille en synchronicité sur les codes du maître en parallèle avec une compagnie de danseurs. Dans leur discipline, elle a immédiatement retrouvé l’exigence qu’elle s’impose pour retranscrire en cuisine les codes secrets du travail d’Albers.
En fait son esprit mathématique la porte naturellement à se donner des règles cachées toujours présentes dans son travail le plus quotidien. Eve aime a torturer les structures grammaticales, la numérologie, la musique… tout ce que l’univers peut offrir de codes pour réaliser son exercice de style et en pimenter le résultat même si les convives ne peuvent s’en voir toujours dévoiler les mystères. Elle adore compliquer à l’extrême pour faire simple. Elle élabore des stratagèmes dignes de Léonard de Vinci pour arriver à l’évidence d’un E= mc2. Mais le défi est que tout reste aussi bon que beau car son respect n’est pas seulement dans l’abstrait, il est sensuellement palpable et divinement comestible.
C’est ainsi qu’Eve s’est jetée à toque éperdue dans les contraintes et les théories qu’Albers a imposé à ses œuvres et ce par 3 fois en abordant à chaque fois une reconnaissance d’application différente du travail de cet artiste visionnaire. Jamais Eve ne copiera un tableau. Elle va à l’essence même de la magie pour la réinventer en sonates gustatives uniques et vertigineuses de justesse.
Dans son premier volet, elle a étudié les perspectives d’Albers dans son art culinaire. Elle a ainsi mis en scène des perspectives gustatives qui viennent de contrastes de températures, de textures, voir de la répétition de formes et de couleurs avec un léger décalage pour donner l’illusion du mouvement. Elle a ainsi décliné des duos autour du poivron en le mariant tour à tour à la tomate, à la langoustine puis à la mangue. Elle a joué avec les laits de vache, de brebis et de chèvre avec différents pains aux saveurs subtiles de pèche, d’herbes ou d’amande.
En fait elle cuisine tous les ingrédients de manière différente pour faire ressortir la variation sur le même produit. Et on retrouve au contact de ses mets si subtils le vertige que l’on éprouve face à « L’hommage au carré ».
Dans sa deuxième expérience avec Albers, elle a été encore plus loin, elle a demandé à la matière d’être plusieurs choses à la fois. Poussant jusqu’au bout la gageure, elle se limite même dans le choix de ses ingrédients pour garder intacte cette idée de la rémanence dans la perception, car si l’on goûte B après A ce n’est jamais innocent… Ces recherches comme toujours l’emmènent très loin, parfois aux confins de l’impossible et elle fait appel à de nombreux techniciens très pointus comme ses collègues cuisiniers Philippe Saint Romas, Michel Vico, ou Laurent Jeannin le chef pâtissier du Bristol, mais aussi des physiciens pour explorer les rapports entre chaleur et matière.Dans sa quête de l’extrême, elle se retrouve à se demander comment faire geler de l’huile pour une île flottante avec une essence de goût d’huile monovariétale face au blanc nuage de neige.
Et comme il est hors de question pour Eve de se répéter, il lui faut donc aller encore plus loin et c’est ce qu’elle a fait avec sa 3ème expérience dont le thème était la lumière chez Albers. Le vitrail de la Fondation Josef and Anni Albers offert au musée Matisse du Cateau Cambraisis a été prétexte à cette nouvelle performance. Ce vitrail connu uniquement par une photo à l’époque du Bauhaus se montrait uniquement sous son aspect carré alors qu’en fait cette partie surmontait également un rectangle.
Un verrier lillois a magistralement reproduit cette pièce d’art disparue en utilisant les techniques révolutionnaires d’Albers, qui le premier avait utilisé des culs de bouteilles pour créer non pas une fenêtre traditionnelle comme dans les églises mais un véritable tableau avec la réflexion de la lumière. A cette occasion, et afin d obtenir des cœurs de plusieurs couleurs, Albers avait utilisé différentes épaisseurs en sablant des zones pour obtenir des polis inégaux et ainsi des réfléchissements de lumière très particuliers. Eve, enthousiasmée par ce challenge, a adapté ce processus en cuisine en partant de couches superposées pour obtenir des effets incroyables.
Elle a démarré le repas par des tubes en verre lumineux en tête à tête pour le plaisir du partage avec 3 bouchées pour chacun. Ainsi elle jouait la lumière en transparence, la lumière réfléchie et la lumière capturée dans la nature, le tout dans une fumée pour le jeu de cache-cache. Pour le deuxième plat, la designer Agathe Chiron, fidèle complice, lui a prêté main forte et s’est retrouvée à tailler des os à moelle de veau en petits cubes rainurés afin que ces sculptures contiennent un tartare de veau de lait au citron de Combawa accompagné des chips de poitrine de veau fumée, le tout servi avec un jarret de veau confit à la moelle avec un croustillant de quinoa.
Pour parachever son petit carré de moelle gratinée, en surépaisseur, Eve a percé des puits de jus de veau réduit à la vanille de Tahiti avec une composition en strates de patates douces, de pommes Vitelottes et de betteraves. Une véritable exploration sur le thème des profondeurs pour aller au cœur de l’inconscient découvrir la saveur unique de chacun. Même le menu était imprimé à l’envers pour lire en transparence afin de mettre les convives en condition pour qu’ils recherchent dans la lumière.
Et il tenait par pliage pour répondre à la leçon inaugurale d’Albers sur les résistances à la matière. Ce tour de force a été réalisé pour servir 40 personnes en même temps avec des températures très froides et très chaudes sur la même assiette, ce qui impliquait bien sûr un personnel au top du service pour guider les convives dans l’ordre des séquences et pour distribuer les vins par rapport aux différents goûts.
Eve est une grande spécialiste de la scénographie avec orchestration de la découverte sur des timings ultra serrés. Et elle applique ces méthodes avec le même bonheur à un lancement de parfum qu’à ses performances .
Chaque fois qu’elle réalise un repas sur commande, elle se plonge dans la même expérience totale artistico-culinaire même si ses convives l’ignorent.
Elle aime a évoquer des univers, à créer la magie de l’instant. C’est ce qu’elle a réalisé pour un évènement au Musée des Arts Forains en recréant à partir de 3 lieux oniriques les mets et les boissons qui leur correspondaient.
Jean Paul Favart, le collectionneur, a été très touché de cette compréhension immédiate de son univers avec les détournements des nourritures foraines qu’Eve a décliné en sucettes de fois gras et barbe à papa aux épices pour aller jusqu’à la salle du merveilleux avec des souffles d’azote liquide.
Quand on donne une mission à Eve elle habite totalement l’espace. Elle a ainsi habillé des baies vitrées avec de la nourriture sur ventouses : des bouchées avec des gressins à l’encre pour représenter les buildings graphiques en vitraux d’Albers.
Elle a aussi inventé des rideaux en guirlande de plumes avec des guimauves à la noix de coco fraîche que les invités doivent déguster pour passer à la suite de leur visite…
Et c’est ainsi que grâce à son imagination sans limites, les Galeries redécouvrent les plaisirs des sens lors des expositions de leurs artistes !
Eve nous rappelle que l’Art est partout, que Tout est Art et que Tout est Divin.
Elle porte bien son nom et nous fait croquer la pomme à l’arbre de la connaissance avec la bénédiction de l’Olympe …
Micha Christos